Publications Alain VAISSIERE


"Le corps dans tous ses états"

S'il est, comme disait Platon, une "chose insensée", le corps n'en demeure pas moins, tout au long de l'histoire humaine,  thème ou sujet culturel majeur avec une infinitude de contrastes selon sa conception, son entendement, sa représentation. Le corps est dans les tableaux d'Alain VAISSIERE constitutif d'un tout. C'est un élément archétypal récursif décontextualisé, introduit dans un univers artistique pluriel et contemporain, un "story-board" stimulateur de rêves, de réalités, de souvenirs d'instants sublimés.

 

Les personnages génériques d'Alain sont une projection sociétale. Ils montrent des corps génériques, sans chair ni sang, introduits dans un ensemble artistique urbain, un conte moderne. Ce sont des avatars graphiques pris dans un moule, celui du monde déshumanisé dans lequel nous vivons, où l'espace entre chacun est évocateur de séparation, de mutisme ou d'absence.

"Le corps dans tous ses états" génère correspondances, accords, désaccords, des "corps-décors", soumis à la création. Il oriente et stimule notre perception dans les tableaux. Le corps anonyme dont on parle est une composante formelle pas forcément systématique mais habituelle. Sa présence (plus que son existence) n'est pas forcément immédiatement visible dans tous les tableaux, le corps devient un motif archivé modifiable, adaptable, interchangeable mais essentiel, qui s'intègre totalement dans l'univers artistique graphique d'Alain jusqu'à fusionner et se confondre, faire corps avec l'arrière-plan.

 

Les intitulés de chaque panneau mettent eux aussi en évidence la figuration humaine  dans un cadre utopique inspiré de la vie urbaine, une atmosphère moderne fictive, fantastique dans laquelle on rentre aussitôt. 

Les corps en filigrane relèvent à la base d'une vraie identité (clichés photographiques intuitifs pris au hasard des rencontres) qui s'efface dans les tableaux. Des corps sexués standardisés, actifs, sans regard ni passions, sans voix, vêtus ou couverts de graphismes, de signes "carrésiques", des ombres impersonnelles ou fantomatiques d'un épurement dénudé, une référence humaine immatérielle mais présente , suggestive, un questionnement sur notre société, nos valeurs humaines, nos schémas comportementaux.

 

Le corps, bien que simulacre, n'en est pas moins un signe figuratif perceptible d'une importance déterminante qui fait basculer la nature des tableaux d'Alain VAISSIERE d'un graphisme souvent abstrait au figuratif. Il n'est pas un prétexte et prend part au contexte, c'est une figure iconique assimilée qui transforme totalement la mouvance de chacun des tableaux. Le corps masqué, fragmenté, décomposé, ou recomposé sur le plan graphique est à la fois représentation et narration, fiction, auto-réflexion, anamorphose. C'est un artifice, théâtre d'ombre ou parfois de lumière lorsque la silhouette est en négatif.

Des empreintes figuratives graphiques en attente de lumière, d'existence, tantôt en surimpression, rehaussées ou au contraire brouillées. Entre présence ou trace humaine et absence de l'être, être et non-être, dé-figuration, illusion et réalité, schéma corporel symbolique, dans un univers optimiste, souvent jovial, séduisant. Les personnages ne s'exposent pas, ils progressent en silence dans l'existence, se croisent sans vraie rencontre, se cherchent tout en restant à distance, ne laissent rien paraître. On les regarde sans parvenir à les voir.

 

Sont-ils l'ombre de nous-mêmes, notre esquisse ? 

Des corporéités individualistes mais sans individualité ni intériorité apparente. On retrouve certains signes distinctifs, mnémoniques, le même voyageur récurrent mais ça ne fait pas de lui un être, seulement un corps identifié, figurant inerte, parmi des corps catégorisés qui laissent libre cours à l'interprétation, aux métaphores.

 

Ces silhouettes graphiques sont fragmentées justement parce qu'elles ne sont pas des êtres mais des découpages virtuels sans consistance visible. Et pourtant ... A travers notre interactivité individuelle, notre projection, ces corps sans expression donnent paradoxalement cette chaleur humaine inhérente aux tableaux d'Alain VAISSIERE: clins d'oeil, humour, questionnements, remises en question, sens du possible, ils sont un relais entre le regardeur éclairé ou "spect acteur" que nous sommes et l'oeuvre elle-même. On imagine leurs difficultés dans le monde d'aujourd'hui, leur réalité.

Ils ne sont que de passage. Il y a toujours une certaine tendresse, un sentiment affectif, un besoin d'humanité dans ses tableaux, ce sont là deux versants presque contradictoires fondés sur une même réalité figurative dans laquelle l'intervenant introduit une dimension de lui-même. Le contemplateur s'investit peu à peu dans le tableau et s'y attache. Les couleurs, les jeux de lumières, les harmonisations de tonalités et contrastes traduisent les climats dans lesquelles les corps sont mis en scène. 

 

On pourrait reprendre le titre du fameux tableau de Paul GAUGUIN : "D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Quelle image avons-nous de nous-même sur le plan socio-culturel ?"

 

Des créations artistiques dans lesquelles esthétisme, plaisir, rêve et poésie s'harmonisent avec beaucoup de talent, de sensibilité, d'acuité ...

 

Marie-Hélène BARREAU MONTBAZET

Vice-présidente de Maecene Arts

Docteur en histoire de l'art